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De l'éthique et de l'économie

Nous sommes aujourd'hui étirés par ces deux notions : l'éthique et l'économie, de la même façon qu'entre boire et conduire il faut choisir. On entend de temps en temps des voix s'élevaient contre ce choix sacrificiel, souhaitant nous inculquer avec la pédagogie de l'arrogance, qu'il n'est pas question de choix mais qu'il faut faire coexister les deux.

Introduction :

Rien n'échappe à la rigueur de la définition. L'économie désigne étymologiquement : "la gestion de la maison". "Nomos" étant la gestion et "Oikos", la maison. Aujourd'hui cette définition archaïque a été oubliée pour celle-ci : "activités humaines tournées vers la production, l'échange, la distribution et la consommation de biens et de services".

Dans l’économie donc, deux notions sont très importantes et il faut les définir également : la notion de bien, et la notion de service. Le bien est quelque chose qui se consomme, qui se possède. Ce bien est un bien s'il est bon, utile pour le propriétaire de ce bien. Une chose est toutefois à ajouter sur cette notion. La pomme est un bien car si je l'a cueille et la mange, elle me nourrit directement. Mais si je l'a cueille pour l'échanger elle devient autre chose car s'ajoute autour d'elle un artefact, une réalité sociale, une valeur sur laquelle on va spéculer. La pomme que l'on souhaite échanger est une pomme dont on n'a pas besoin directement, elle ne sert que si elle peut être échangée. Si la pomme n'a pas de potentialité d'échange et que je n'en ai pas besoin, elle ne peut plus être considérée comme un bien.

Il en est de même pour le service. Ce dernier est issu d'un travail, d'un savoir élaboré par la personne qui va les mettre en œuvres. Le service est troqué contre de l'argent ou un bien autre.

Vient ensuite la question de l'Ethique. L'Ethique n'est pas exactement la même chose que la morale. La morale est liée aux mœurs et à la culture. Elle est relative mais elle fait de nous des créatures sociales. L'Ethique quant à elle est liée à l'universalité et à l'humanité. La morale est convention, l’éthique est loi naturelle. Toutefois ces deux concepts ne sont pas totalement isolés. L’éthique est le sens commun qui fait de nous des humains, elle est le produit d'une introspection issue de la phrase grecque inscrite sur le temple de Delphes dés l'antiquité : (Γνῶθι σαυτόν : gnothi seauton) connais-toi toi même.

L'économie chez les grecs :

Les philosophes grecs antiques ont souhaité élaboré des théories économiques. Mais ils n'étaient en rien des économistes modernes, ces derniers ont cherché à faire de l'économie une science dure, isolée des autres sciences que sont les mathématiques, la physique, la biologie ou encore la philosophie.

Pour les anciens la question économique ne peut se penser sans la question éthique c'est-à-dire celle de l'humain. Les présocratiques, que l'on appelle également les philosophes de la nature (Thalès, Pythagore, Héraclite, Parménide etc) ont cru que toute chose avait une nature. C'est-à-dire un caractère attribué à la chose qui lui donnait d'apparaître, d'être et d'agir.

Ils pensaient également que cette nature découlait d'une nature première qui aurait laissé son empreinte dans toute la création. Pour certains il s'agissait d'un élément matériel à l'origine de tout (l'eau, l'air etc) pour d'autre un concept à l'origine de tout (le conflit, la volonté ou l'intelligence etc). Pour Anaxagore par exemple, c'est l'intelligence naturelle qui mit en ordre la matière et sa propriété est l'harmonie parfaite. Aussi la nature vient sanctionner les mauvaises actions et comportements qui font violence à l'harmonie naturelle.

Toutefois ils ont bien compris que l'homme s'était détaché de l'harmonie naturelle et créant une société artificielle. Pour que celle-ci soit autonome et vive dans la nature, il faut un équilibre car l'harmonie ne s'y trouve plus.

Donc deux idées :

- L’idée d’harmonie se place, dans cette approche, comme une somme nulle globale de la totalité des échanges catallactiques entre la multitude des éléments et actions qui composent le Tout.

- L’idée d’équilibre, quant à elle, est une somme à tendance nulle mais qui, en général, demeure précaire ; l’équilibre, ainsi imaginé comme étant limité à un ensemble donné, donc plus restreint que le Tout, ne pouvant être atteint, et encore moins durablement.

Par la suite deux penseurs du IVème siècle vont s'opposer sur la question économique : Xénophon et Aristote.

- Pour Xénophon, la recherche de la richesse, si elle ne s’apparente pas à une nécessité immédiate de survie, ou de recherche intellectuelle, peut rapidement être considérée comme une rupture harmonique de la nature de l’être humain ; elle devient alors une tare, voire une maladie qui conduira la personne à sa perdition.

- Pour Aristote, les choses sont tout autres. La réussite matérielle, via la recherche du profit, des bénéfices, et la fructification et de ses biens, et de ses potentialités (notamment dans le commerce), n’est pas une rupture d’avec son essence intime mais, plutôt, un prolongement des qualités harmoniques, et harmonieuses de l’esprit humain.

Toutefois Aristote a, dans ses traités économiques, fortement distingué les biens et la monnaie (l'argent). Il met en garde contre la financiarisation de l'économie qui considère l'argent non pas comme un moyen mais une fin. C'est d'ailleurs pour cette raison que les scolastiques médiévaux vont interdire l'usure. Aristote s'oppose fermement à ce qu'on substitue l'argent aux biens.

Mais quels rapports avec nos problèmes d'aujourd'hui ?

C'est très simple alors que l'économie est pensée comme une science isolée, elle est devenue autonome dans la façon de se penser et elle a oublié l'importance de la personne en tant que consommateur et producteur. Cela est due surement à la financiarisation qui a plongé l'économie dans une éternelle spéculation sur la valeur des choses et des services.

Aussi on observe dans notre démocratie que l'homme qui était au départ un animal politique (comme le pense Aristote) il devient un "homo économicus". Cette transformation est très importante car elle ne rend plus l'homme sujet mais objet au service d'une économie financiarisée.

Aujourd'hui nous avons plusieurs écoles d'économistes qui s'affrontent. La plupart sont libéraux : ce sont les Keynesiens, les libéraux de l'école de Chicago (Friedman), les libéraux de l'école autrichienne (Hayek) et d'autres encore. Nous avons ensuite ceux qui ont réagit en souhaitant sauver l'homme de cette esclavagisme qui s’annonçait : Rousseau, Marx, Proudhon. Toutefois bien que les analyses de ces derniers se révélaient justes à propos de cette phénoménologie, ils n'ont pas réussi à proposer des systèmes qui puissent s'établir durablement. Parfois, et c'est le cas de Marx, certains hommes se réclamant de lui ont recrée un esclavage bien plus primitif.

Chez Rousseau, le citoyen doit servir et être servit par la cité en devenant un membre du corps politique incluant un contrat social. L'Etat doit avoir un droit solide basé sur la souveraineté et la volonté générale. Mais la définition de ces concepts ne sont pas l'objet de cet article. Toutefois Rousseau est entièrement héritier de la pensée d'Aristote : "l'homme est un animal politique" la politique consistant à organiser et maintenir l'état d'amitié entre les citoyens. Il est évident que Rousseau est très méfiant envers tout ce qui touche les intérêts privés qui entrent forcement en concurrence avec l’intérêt public et parfois donc la volonté générale et la souveraineté.

Chez Marx, l'homme est formé dans la classe qui la vu naître. Il y a une guerre des classes dans laquelle, il faut aboutir à la dictature du prolétariat, c'est-à-dire la mise en commun des outils de production et le partage égalitaire des richesses. Cela nécessitait que les classes ouvrières renversent les classes capitalistes.

Chez Proudhon, c'est le mutualisme et le socialisme libertaire. C'est uniquement le fruit du travail qui est possédé. La production est assurée par la coopération des travailleurs pour l'autogestion de leurs usines et exploitations agricoles et la libre association des individus. A la différence du marxisme qui souhaite une révolution, l'accès au système mutualiste ne se ferait pas par une révolution violente et soudaine. Le mutualisme prévoit plutôt une évolution gradualiste par la fédération des travailleurs, par leur coopération dans la prise de contrôle de l'industrie. Il faut aussi indiquer que Proudhon a une vision beaucoup plus "anarchiste" du pouvoir que Marx.

Aussi la question fondamentale de notre temps est la suivante : "l'homme au service de l'économie, ou l'économie au service de l'homme ?"

Si vous soutenez la première formule, l'éthique ne vous intéresse pas, car vous changez la perspective, plaçant l'économie comme une fin en soi et non un moyen, vous êtes donc opposé à tous les penseurs grecs.

Si en revanche vous soutenez la deuxième formule, l'éthique doit vous intéresser. Alors il faut penser l'économie par le prisme de la philosophie et la remettre en cause.

Contrairement à ce que certains pensent, les libéraux ont une éthique. En fait selon eux l'éthique ne peut se faire que s'il y a liberté. Ce qui est évident, un acte éthique est bon car il est un acte libre. Les libéraux pensent également que la croissance doit être éternelle. Ce qui ici pose question. Ils pensent également qu'il faut lutter contre le constructivisme (en gros le marxisme, le rousseauisme etc) et que la société se construit dans un ordre spontané. Le terme ordre spontané désigne un ordre qui émerge spontanément dans un ensemble comme résultat des comportements individuels de ses éléments, sans être imposé par des facteurs extérieurs aux éléments de cet ensemble.

Aussi pour les libéraux il n'y a que des individus, et l'Etat n'est présent que pour protéger ses droits naturels. Les libéraux mettent tous les outils qui leur sont donnés au service de la liberté. La liberté et la propriété privée sont les deux colonnes de cette idéologie. Aussi je me suis souvent posé la question si l'ordre spontané était à l'origine du libéralisme ou si c'était l'inverse. En effet qu'est ce qui distingue l'ordre spontané de n'importe quelle société, qu'elle soit totalitaire ou non. Hayek considère comme constructivisme toute société qui ne correspond pas à sa représentation de la société libérale. Aussi il faut faire attention avec ce terme. Qu'est ce qui différencie le constructivisme du libéralisme plus sérieusement ?

Il est évident que l'on ne peut considérer la société comme une machine entièrement technique. Mais le libéralisme n'est-il pas finalement un constructivisme anti-constructiviste ? C'est-à-dire un constructivisme qui se fait passer pour autre chose que ce qu'il est.

Le libéral est, selon les propres termes de Friedrich Hayek, "celui qui laisse faire le changement, même si on ne peut pas prévoir où il conduira". Est-ce qu'il est permis de penser ainsi lorsque l'on aperçoit des changements qui conduisent à une situation tellement grave qu'ils mettent en danger l'existence de l'espèce. Et que la seule solution c'est justement de stopper une mauvaise dynamique. Un changement qui se produit peut-être bon ou mauvais. Il vaut mieux peut-être parfois réagir et non s'adapter car l'adaptation serait mortifère.

Le libéral se centre également sur la question du rapport entre politique et économique. L'économie étant pour eux la condition de la paix et la guerre la conséquence de la politique. La politique pour un libéral est susceptible d'être aliénée et de détruire la liberté de l'individu. Il est évident que pour le libéral l'homme est plus "homo economicus" qu'homme de la cité.

Mais ne pensons pas qu'il y ait un libéral type. Les libéraux s'affrontent entre eux : certains sont pour la financiarisation de l'économie, d'autres non. Certains sont pour la création des banques centrales d'autres non. Certains sont pour un Etat interventionniste dans des cas particuliers, d'autres sont pour la disparition de l'Etat. Bref personne n'est d'accord et c'est tant mieux.

Mais je vais toutefois faire la critique du libéralisme ici. Je ne pense pas que l'on puisse croire en une croissance éternelle, ni en une destruction créative sans fin. Les limites écologiques et la financiarisation de l'économie ne peuvent pas cohabiter. Car cette dernière ne prend pas en compte les réalités matérielles des biens et du bien. Le libéralisme et le capitalisme ont certes permis des progrès considérables, ils n'ont pas résolus les problèmes des questions existentielles de l'humanité. Ils ont aussi encouragé la dépendance de l'homme, et sa précarisation sociale.

C'est d'ailleurs pour cela qu'il n'y a pas d'Ethique économique. L'Ethique implique le sacrifice. S'il devient un outil au service de l'image, il n'est plus éthique, il devient manipulation.

Il ne faut pas se laisser entourlouper par ceux qui exaltent l'éthique d'entreprise. C'est une illusion. Toutefois il ne faut pas non plus croire à un système parfait comme l'a cru à un moment Rousseau ou Marx. Je pense que c'est par l'éducation, par la transformation interne de l'homme que l'on peut construire un monde plus éthique. N'oublions pas ce qui a été dit au début de l'article, c'est par l’introspection que l'homme peut se connaître lui-même, connaitre sa propre nature.

Cette introspection doit aussi nous mener à observer les autres et à compatir. Or j'observe que le pouvoir politique et financier occidental prend de mauvaises décisions car il a peur de perdre sa domination. Il refuse donc la compassion envers les faibles. Il soutient les forts déjà installés et il se réfugie dans le mépris de ceux envers qui il a une responsabilité.

Aussi je me pose la question si depuis toujours ce n'est pas Xenophon qui a raison : "la recherche de la richesse, si elle ne s’apparente pas à une nécessité immédiate de survie, ou de recherche intellectuelle, peut rapidement être considérée comme une rupture harmonique de la nature de l’être humain ; elle devient alors une tare, voire une maladie qui conduira la personne à sa perdition".


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