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Les Confessions de Rousseau

Alors que la question de la rivalité entre Voltaire et Rousseau est à son comble encore aujourd'hui en politique, les Confessions devraient être remises au goût du jour car elles expliquent clairement la nature de la division entre les philosophes et le vicaire savoyard.

Les Confessions sont publiées entièrement en 1789, soit dix-neuf ans après que Rousseau eut terminé l'ouvrage. Cette publication entièrement posthume était le souhait de l'auteur. En effet Jean-Jacques intitule ce recueil "les Confessions" en référence au livre de Saint Augustin. Bien que la question de la religion soit évoquée à plusieurs reprises, il s'agit d'une autobiographie couvrant prés de cinquante-trois ans de la vie de Rousseau s’intéressant à tous les sujets.

L'idée d'écrire ses Confessions pour la postérité présente déjà une problématique intéressante. En effet Voltaire, Diderot, d'Alembert n'ont jamais publié sur eux-même. Rousseau est le seul philosophe des lumières à parler de lui-même aussi profondément. Certains éléments qu'il énonce sont parfois gênants, accusateurs envers sa propre personne. Aussi il n'hésite pas à dévoiler certains de ses fantasmes ou de ses pensées profondes sans aucune barrière si ce n'est celle de l'élégance littéraire. Rousseau nous raconte également sa vie d’errance, ses rencontres, ses séparations, ses réussites, ses échecs etc. Il déclare :

"Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. Moi, seul. Je sens mon cœur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu"

Mais ce qui nous intéresse ici c'est davantage en quoi les Confessions constituent un livre philosophique. En effet par le biais d'une autobiographie, Rousseau veut délivrer un message. Il se sert de ses Confessions pour se justifier des erreurs qu'il a commises mais il s'agit également d'une parabole. C'est à dire un texte à haute portée symbolique.

Rousseau veut faire une métaphysique de l'homme, non pas en observant la société et ses travers comme le font les philosophes, mais en se contemplant lui-même. Ce choix philosophique n'est pas sans rappeler le « Nosce te ipsum » (connais-toi toi-même) de Platon et de Saint Augustin. L'objectif étant d'entrer en soi-même : passer de l’extérieur vers l’intérieur afin d'observer le conflit interne. C'est seulement quand il aura résolu ce conflit qu'il pourra ensuite agir sur le monde de façon efficace. En fait ses confessions sont à relier avec l'idée du Contrat social et de la fameuse Volonté générale. Cette dernière correspond à l'ensemble des choix réalisés par tous les citoyens, chacun s'exprimant réellement pour le bien de tous et non pour son bien propre. Pour qu'il soit légitime, l'Etat doit être gouverné par la volonté générale qui, pour Jean-Jacques Rousseau, est représentée par la loi. Pour faire régner la volonté générale, l'exercice de l'introspection est très importante car elle permet de voir ce qui est issu de l’ego et ce qui est issu de "nous" en tant qu'humain.

Alors que Rousseau commence par raconter son enfance délaissée, il démontre très tôt des prédispositions pour l'écriture. Il ne reçoit pas d'éducation mais il est autodidacte. Lorsqu'il s'agit de rhétorique et de mondanités il se conduit de façon irritable :

"Je trouve pire, la nécessité de parler toujours : quand on vous parle il faut répondre, et si l'on ne dit mot il faut relever la conversation. Cette insupportable contrainte m'eut seule dégoûté de la société. Je ne trouve point de gêne plus terrible que l'obligation de parler sur-le-champ et toujours. Je ne sais si ceci tient à ma mortelle aversion pour tout assujettissement ; mais c'est assez qu'il faille absolument que je parle pour que je dise une sottise infailliblement"

Rousseau raconte également les différents métiers qu'il va exercer. D'abord apprenti chez un artisan, il s'enfuit chez un prêtre qui veut bien le recueillir dans le but d'en faire un bon catholique (car il est né dans une famille calviniste). Il fait la rencontre de madame de Warrens qu'il va ensuite appeler : "Maman". C'est elle qui pourvoit à ses besoins grâce une pension que lui verse un Noble. Il vit chez elle entre ses dix-huit et vingt-cinq ans. Il se passionne pour la musique.

Toutefois à vingt-cinq ans, Rousseau commence par avoir à ce qu'il semble un premier accident vasculaire cérébral. Cet accident va l'affaiblir considérablement. Il va exercer le métier de secrétaire d'ambassade à Venise grâce à une relation de madame de Warrens. Mais cela se passe mal et il rentre en France. Il rencontre Grimm et Diderot à Paris. Il se lie d'amitié avec ce dernier et participe à l'écriture de l'encyclopédie, la nouvelle arme de guerre contre l'ignorance et la superstition. Il va commencer à apprécier ce pays qu'est la France :

"Je me mis à lire les gazettes pour la première fois, mais avec une telle partialité pour la France, que le cœur me battait de joie à ses moindres avantages et que ses revers m’affligeaient comme s'ils fussent tombés sur moi"

Et contrairement aux autres philosophes des lumières, il rejette l'Angleterre qu'il perçoit comme décadente.

Vers ses trente-cinq ans, la fatigue combinée à ses soucis provoquent une grave maladie. Cette maladie dura plusieurs mois et faillit avoir raison de lui. Cette maladie provoqua un changement considérable dans sa façon de voir le monde.

"Cet accident qui devait tuer mon corps, ne tua que mes passions, et j'en bénis le ciel chaque jour par l'heureux effet qu'il produisit sur mon âme. Je puis bien dire que je ne commençai de vivre que quand je me regardai comme un homme mort"

Il se relance dans la philosophie. Il lit Locke, Malebranche, Leibniz, Descartes etc et il déclare à leurs propos :

"Je m'aperçus bientôt que tous ces auteurs étaient entre eux en contradiction presque perpétuelle, et je formai le chimérique projet de les accorder, qui me fatigua beaucoup et me fit perdre bien du temps"

Il renoue avec la foi chrétienne en redevenant calviniste. Il renonce aux mondanités et à la richesse et décide de devenir un simple (et mauvais) copiste. L'écriture et la philosophie seront ses passions annexes. Ce projet de vivre seul et en campagne vont être à l'origine de ses problèmes et de ses séparations avec ses amis. De plus, les idées politiques de Rousseau vont aussi lui attirer de nombreux soucis auxquels ses anciens amis vont l'abandonner.

Il va se confronter plusieurs fois à Voltaire. Les deux hommes se mépriseront de plus en plus. Rousseau dit même à son sujet :

"Frappé de voir ce pauvre homme, accablé pour ainsi dire, de prospérités et de gloire, déclamer toutefois amèrement contre les misères de cette vie, et trouver toujours que tout était mal, je formai l'insensé projet de le faire rentrer en lui-même, et de lui prouver que tout était bien. Voltaire, en paraissant toujours croire en Dieu, n'a réellement jamais cru qu'au diable, puisque son Dieu prétendu n'est qu'un être malfaisant qui, selon lui, ne prend de plaisir qu'à nuire. L'absurdité de cette doctrine, qui saute aux yeux, est surtout révoltante dans un homme comblé des biens de toute espèce, qui, du sein du bonheur, cherche à désespérer ses semblables par l'image affreuse et cruelle de toutes les calamités dont il est exempt"

Bien qu'entretenant ensuite des relations tendues avec Diderot, Rousseau explique qu'il sera un des seuls à le soutenir dans ses difficultés. Lors de l'emprisonnement de son ami, Rousseau envoie sans cesse des lettres à la dame de Pompadour afin d’alléger la peine du philosophe. Jean-Jacques ne fait pourtant nulle mention de ces lettres à Diderot. Rousseau rend également visite à son ancien ami lorsque celui-ci est déprimé par les tensions dûes à l'encyclopédie. Pourtant Diderot va se comporter avec Rousseau de manière particulièrement ingrate. Diderot fait effectivement des leçons de morale à Rousseau. Il l'accuse de mal s'occuper de sa famille, de faire preuve d'égoïsme et de misanthropie. Ce qui est sans doute vrai mais Rousseau supporte mal les accusations. Ce dernier n'hésite pas ensuite à lui envoyer une lettre afin de briser définitivement leur amitié. En effet Rousseau fait preuve de beaucoup de fierté, mais il veut en tout point être sincère. D'ailleurs le Misanthrope de Molière me renvoie naturellement à l'auteur des confessions parfois.

Maintenant pour en finir avec ce livre de huit cents pages, il faut dire que Rousseau est là dans un exercice qui fonde sa philosophie. 1) La société corrompt l'homme 2) Le bonheur ne se trouve qu'à l’intérieur de l'homme 3) Une société juste ne se fera que si et seulement si l'homme est bon et a conscience de faire le bien. C'est là toute la différence avec la civilisation libérale défendue par les philosophes. Voltaire et les autres croient en la civilisation, en l'art et en la société pour élever l'homme. Rousseau lui ne croit pas en la civilisation, il croit en la vertu et en l'homme pour élever la société. La volonté générale est une extension de la connaissance de soi et elle-seule peut créer une société juste. Le contrat social n'est donc absolument pas une chose concrète comme un papier que l'on signe, mais une conscience interne de son humanité et sa volonté de vivre avec (et non contre) le monde. Voltaire et les autres pensent que la somme des intérêts particuliers vont, comme par magie (la main invisible), créer une société plus juste. Ce n'est pas ce que pense Rousseau. En fait Rousseau et Voltaire sont absolument irréconciliables que ce soit sur le terrain de la philosophie que sur celui de la politique.


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