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De l'âme de Aristote

Aristote (-384 à -322), le philosophe grec, l'élève de Platon et le précepteur d'Alexandre le Grand, n'essaie pas de nous présenter une théorie spirituelle de l'âme. Dans notre culture chrétienne, l'âme est une entité spirituelle, ici Aristote ne parle pas du tout de ça. La traduction latine du texte c'est : "de Anima" qui signifie littéralement "du vivant" ou "de la vie". En fait ce traité "de l'âme" parle exclusivement du vivant. Aristote essaie de comprendre la nature du vivant et d'en donner une définition précise. On aurait d’ailleurs pu titrer ce traité : "Sur la nature de la nature".

Petite histoire de l'oeuvre : "De l'âme" fut découvert en Occident grâce aux interactions intellectuelles avec les Arabes, notamment Averroès (1126-1198) qui essayait déjà de concilier la philosophie grecque et la civilisation islamique. Averroès a beaucoup, beaucoup travaillé sur cette oeuvre d'Aristote. Il en commente tous les paragraphes dans son "Grand Commentaire du De anima".

En Occident nous avons également un penseur du même genre, Thomas d'Aquin (1225-1274) qui a essayé de concilier les écrits d'Aristote avec la foi chrétienne. Mais ce ne fut pas facile car dès la découverte des traités : "De l'âme", de la "Physique" et de la "Métaphysique" les autorités chrétiennes se contractèrent. Ces derniers livres furent "interdits" en 1210 .

Je mets des guillemets à "interdits" puisqu'en réalité "interdire c'est commander" et donc tous les théologiens et philosophes se sont rués dessus car Aristote avait déjà de nombreux fans à cette époque.

En tout cas on ne lisait pas ses œuvres lors des cours en Faculté. Après délibérations, en 1255, les livres de philosophie naturelle d'Aristote sont au programme dans les Facultés.

Venons en à l'oeuvre elle-même. Elle est très difficile sans aucun doute. Mais elle nous fait entrer dans une approche originale du vivant. Le livre répond donc aux questions suivantes :

Qu'est ce qui fait qu'une chose est vivante ? Que peut-on dire de la "substance" du vivant ? Comment se fait-il qu'une chose vivante soit consciente de sa propre vie ? Et comment cela se traduit-il ?

Comme vous le voyez il s'agit de questions existentielles et donc métaphysiques.

En introduction Aristote déclare :

"Nous cherchons à voir et à connaître sa nature ou sa substance (à l'âme), puis tous les accidents qui l'affectent et qui constituent, d'après l'opinion, les passions propres de l'âme, d'un coté, et, de l'autre, les attributs qui, à cause d'elle, appartiennent également aux animaux"(intro.1)

Toutefois il y a beaucoup de questions préalables en effet Aristote observe que les affections de l'âme sont toutes liées au corps : ardeur, douceur, crainte, pitié, audace même la joie et l'action d'aimer et celle de haïr. Ces phénomènes s'accompagnent, en effet, d'une certaine affection du corps. Pour Aristote en effet l'âme et le corps ne peuvent pas se traiter comme deux choses à opposer mais comme deux choses unies dans un sujet vivant.

Aristote se met en garde lui même également, car si on veut étudier la nature d'une chose il faut traiter cette nature dans sa globalité en prenant la raison d'une chose et sa matérialité.

Par exemple : une maison est un abri de nature à empêcher les dévastations causées par les intempéries mais elle est aussi un tas de briques et de pierres.

Dans la première partie Aristote fait une synthèse de tout ce qui a été dit avant lui sur le vivant et il critique les thèses une par une. Certains disent par exemple que l'âme est ce qui met en mouvement grâce à l'air et la respiration. Aristote répond que cette thèse est insuffisante car les plantes sont vivantes, animées, autonomes et pourtant leurs mouvements se limitent au fait de grandir. D'autres ont même des théories très complexes du mouvement mais Aristote déclare que ce n'est pas parce qu'une chose est en mouvement qu'elle est vivante. Et une chose peut-être en mouvement en vertu d'autre chose.

Certains (comme Empédocle) disent que l'âme est connaissance des éléments (terre, eau, amour etc). Et les éléments eux-même seraient une âme. Aristote dit non, car pour lui les éléments ne sont issus que de nos perceptions sensibles, les éléments ne nous expliquent pas ce qu'est la raison de la substance de vie.

L'âme n'est pas non plus une harmonie, c'est à dire un mélange, ou une composition de contraires.

Enfin pour Aristote, l'âme c'est ce qui fait que nous vivons, sentons et réfléchissons au sens premier. Elle est une raison et non une matière ou un sujet. Ce n'est pas le corps qui est réalisation de l'âme c'est au contraire l'âme qui est réalisation d'un certain corps. L'âme est, pour le corps vivant, cause et principe. Pour résumer :

"la substance est ce qui est universellement responsable de l'être. Or l'être, pour les vivant c'est la vie. Et ce qui en est responsable, leur principe c'est l'âme. De plus l'expression de ce qui est potentiellement, c'est la réalisation."

L'intelligence poursuit un but, de réaliser quelque chose, la nature en poursuit un de la même manière en réalisant également. Au début de la deuxième partie, Aristote finit par nous dévoiler sa définition de l'âme:

"Et si l'on a besoin d'une formule qui s'applique en commun à toute âme, ce sera : la réalisation première d'un corps naturel pourvu d'organes"

Aussi Aristote par son concept de réalisation évacue le dualisme platonicien ou l'âme et le corps s'opposent. Car selon lui l'âme est la cause du corps vivant en réalisation.

Dans la deuxième partie, Aristote énumère et étudie les sens du vivant (le goût, le toucher etc). Je survole cette partie car elle ne nous apprend rien de nouveau sur l'âme, elle ne permet que de confirmer la définition d'Aristote.

En parallèle il étudie les différences entre les végétaux, les animaux simples (insectes etc), les animaux sophistiqués (mammifères) et les humains. Tous ont une âme (puisqu'ils sont vivants). Mais elle présente chez chacun des différences notables au niveau de la complexité.

Aussi il y a pour Aristote l'âme végétative, l’âme sensitive (dotée de la capacité de sentir et de percevoir), l'âme motrice (dite "faculté appétitive" où les animaux les plus parfaits peuvent se mouvoir pour satisfaire leurs besoins) et l'âme "intellective" pour les humains.

Là où ça devient hyper intéressant c'est à la fin de la partie 2, quand Aristote déclare :

"Puisque d'autre part, nous sentons, que nous voyons et entendons, il faut nécessairement, ou bien que ce soit la vue qui permette de sentir ce que l'on voit, ou bien que ce soit un autre sens."

En effet y-a-t'il un sens qui se perçoit lui-même ? Autrement dit comment se fait-il que nous sentons avoir senti ?

Aristote remarque en effet qu'une fois que les objets sensibles s'en sont allés, les sensations et représentations demeurent dans les organes sensoriels. (C'est la mémoire d'une expérience sensible). Aussi c'est par le discernement entre les différentes expériences sensibles que nous avons conscience de nos sens. Ce sont les différences qui créent le sens du sens. C'est le discernement.

Si en effet nous souffrons continuellement (sans jamais recevoir un plaisir des sens ou un repos, mais une souffrance unique) souffrons-nous réellement ? Non puisque sans connaître le plaisir des sens nous ne pouvons réellement souffrir. Quand la souffrance est un état de nature ce n'est pas une souffrance c'est une caractéristique naturelle de la chose. Aussi la souffrance n'est pas une nature elle est issue de nos sens.

L'âme en fait est une certaine manière toute chose. L'âme contient la forme de notre être, sa raison d'être, son élaboration naturelle. Ce qui est surprenant et mystérieux c'est cette âme "intellective" qui nous donne le pouvoir de la représentation d'origine non sensible. Celle qui fonde la liberté de l'intention ou de l'imagination.


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