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Lettres à Lucilius de Sénèque

Le stoïcisme n'est pas réellement un courant philosophique précis. Il s'agit davantage d'une pensée qui a beaucoup évolué depuis Zénon de Kition (-301 à -262) jusqu'à Marc Aurèle (121 à 180).

"Stoïcisme" vient du grec, "Stoa Poikilè": "le portique peint" situé sur l'agora d'Athènes où Zénon proposait ses cours de philosophie. Le maître stoïcien fut particulièrement influencé par Héraclite et Cratès de Thèbes. Ce dernier était un élève du célèbre Diogène de Sinope, fondateur de la tradition philosophique dite "cynique".

Enfin c'est au bout d'une longue tradition de rencontre entre le Cynisme et la pensée d’Héraclite que naît sans doute le stoïcisme. D'ailleurs Sénèque (-4 à 65) le stoïcien, se présente comme étant un cynique dans ses lettres à Lucilius :

"Ceux qui prospèrent se voit entourés d'une foule s'amis ; autour de ceux qui sont ruinés c'est le désert" (lettre 9) ou encore :

" Aucun d'entre eux n'est attaché à toi-même mais à quelque chose de toi" (lettre 19)

Mais ce n'est pas tout : Sénéque ajoute également la pensée d’Épicure dans la littérature stoïcienne. A l’intérieur de ses lettres le nom du philosophe matérialiste apparaît régulièrement. D'ailleurs Sénéque le cite en reprenant ses paroles et en les expliquant sous un angle original. En fait le stoïcien n'est pas réellement épicurien selon la tradition pure, il tire seulement des leçons morales de l'enseignement d’Épicure. Sénéque ne fait nullement mention de l'atomisme par exemple, puisqu'il est un immatérialiste, et davantage influencé finalement par Platon et Cratès pour sa philosophie profonde.

Pour revenir à la forme de ces écrits, ces lettres sont très "fraternelles" car elles sont à destination d'un ami : Lucilius. Sénéque prodigue des conseils moraux et spirituels à son ami notamment sur le danger de s'attacher aux choses matériels, ou de celui de souffrir inutilement.

Ce qui est intéressant c'est que le stoïcien est un homme riche et puissant de son vivant, et ses écrits témoignent d'une volonté de rester modeste, humble.

"Ce n'est pas celui qui a peu, mais celui qui désire plus qui est pauvre" (lettre 2) ou encore :

"C'est la richesse qui a empêché bien des hommes de philosopher ; la pauvreté est sans entrave, sans souci"(lettre 17)

En vérité on observe dans ces dernières phrases que Sénéque n'a pas l'air de savoir ce qu'est réellement la misère. Il l'idéalise car le pauvre ne philosophe pas, bien au contraire il ne pense qu'à sa propre survie et il est donc forcé d'être matérialiste. Mais ce qui est intéressant c'est que Sénéque, riche et puissant, s’aperçoit que la richesse aliène l'esprit et l'intellect. Aussi c'est la volonté de se faire pauvre qui produit la paix de l'esprit, et donc le bonheur.

"Si tu veux être disponible pour ton âme, il faut que tu sois ou pauvre ou semblable à un pauvre. Ton zèle ne peut devenir salutaire sans le souci de la sobriété ; or la sobriété est une pauvreté volontaire. Écarte donc ces mauvaises excuses :"je n'ai pas encore suffisamment d'argent ; quand je serai parvenu à réunir cette somme alors je me donnerai tout entier à la philosophie(...), si quelque chose t'interdit de bien vivre, il n'est pas interdit de bien mourir"(lettre 17)

La deuxième leçon du stoïcien Sénéque, c'est le fait de ne pas s'inquiéter pour une chose dont nous n'avons aucune prise. Il semble d'ailleurs qu'il y ait beaucoup de choses inaccessibles à l'action de l'homme et donc il conseille la sérénité afin de ne pas souffrir pour rien. C'est d'ailleurs cette recherche de distance et d'impassibilité sur les choses du monde qui fonde la pensée profonde du stoïcisme romain :

"Nous sommes torturés soit par des mots présents, soit par des maux à venir, soit par les deux à la fois. Des maux présents, il est facile de juger : si tu es libre de ton corps, en bonne santé et que tu ne souffres d'aucun mauvais traitement, nous verrons quel sera l'avenir, pour aujourd'hui ce n'est pas une affaire. Mais en effet il y a l'avenir ! D'abord regarde bien s'il y a des preuves certaines qu'un mal arrivera ; la plupart du temps, en effet, nous souffrons de soupçons et sommes les jouets de cette fameuse rumeur, qui d'ordinaire, achève la guerre ; or elle achève bien davantage les individus" (lettre 13)

Ce dernier passage illustre bien la tradition d’Épictète : ne pas s'inquiéter de choses qui ne dépendent pas de nous. C'est à dire les biens matériels, les opinions des autres etc.

Sénéque dans sa dernière lettre déclare :

"La vérité,(...) on ne doit la dire qu'à celui qui est capable de l'entendre"

(lettre 29)

Pour ceux qui veulent encore potasser le sujet du stoïcisme, le livre "Pensées pour moi-même" de Marc Aurèle illustre parfaitement cette doctrine avec en prime un rigorisme romain teinté de philosophie militaire.


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